J’enfile mes bottes d’hiver, mon manteau chaud et je pose mon sac à dos sur mon épaule. Dans celui-ci, je glisse mon pyjama à carreaux, différentes tuques (je suis accro aux tuques!) des livres d’auteurs d’ici, des magazines (Caribou, Beside, Corsé), une ou deux bouteilles de gin québécois (toujours!) et du café pour les doux petits matins au bord du feu. Le rituel de préparation pour me rendre au chalet me fait du bien, presque autant que les moments de détente et de contemplation qui m’attendent au bout de la route.
Entre les deux confinements, j’ai demandé à mon ami s’il était possible de me rendre à son chalet pendant quelques jours. « Combien de temps et quelles dates? », qu’il m’a demandé, ce à quoi j’ai répondu « n’importe quand et peu importe la durée, mais bientôt, j’ai besoin de m’évader ». Voilà qui décrit mon état intérieur des derniers mois, moi que le confinement a, entre autres choses, contraint à annuler les courts et les plus longs voyages constituant une importante partie de ma vie professionnelle et personnelle. Moi qui comme tous, vois ma vie normale mise sur une bien longue pause.
Lorsque j’arrive au chalet, avant même d’ouvrir la porte et les volets, il me semble que je respire mieux. Car ici, l’air me semble plus frais qu’ailleurs. La vue de la forêt tout autour calme les angoisses des derniers mois d’un coup et le lac, même gelé, immobile en surface, me plonge dans un état de contemplation qui me fait du bien. Comme moi, il paraît tranquille en surface, mais valse de l’intérieur. J’ai toujours trouvé que la nature portait les plus belles métaphores de vie.
J’ouvre la porte et s’empare, comme chaque fois, cette impression que l’endroit n’attendait que moi. C’est mon arrivée qui défige les choses et le temps. Moi qui apporte la vie dans ce lieu au calme intérieur auquel j’aspire. Nous nous apportons beaucoup déjà, il me semble.
Le chalet est l’un de seuls endroits où je n’ai pas peur du silence. Bien sûr, je mets de la musique que j’aime lorsque j’y cuisine, mais lorsque je lis, que je pense, que je sommeille sur le sofa ou que j’écris, j’y préfère le silence. Un silence qui m’apaise en laissant toute la place aux petits bruits ambiants : les oiseaux qui chantent au loin ou tout près, la rivière qui coule, la pluie, le vent ou la neige qui me tombe gentiment ou plus durement dessus (accentuant mon impression de réconfort et de sécurité) et le feu qui crépite et m’hypnotise doucement, parfaitement.
Au chalet, même en solo, je ne suis plus seule. Je suis privilégiée. Avec une ou des amis (en temps normal, dans la vie d’avant et celle, tout bientôt, à venir), je suis la plus comblée des filles de la ville ayant besoin de la nature pour équilibrer sa vie.
Je ne suis pas très loin, à peine quelques heures de voiture de la maison, pourtant je me sens en voyage. Je suis en voyage dans une forêt qui pourrait bien être estonienne ou tchèque, dans un décor qui me rappelle certains de mes plus beaux périples. Je suis en voyage à l’intérieur de moi surtout, loin du tourbillon des incertitudes de cette pandémie.
En ces temps incertains, plus que jamais, j’ai besoin de ces moments de ressourcement passés au chalet, de ces escapades dont les bienfaits ne sont en rien proportionnels à la durée des séjours. Quelques nuits ici suffisent à recharger mes batteries, à modifier mon état d’esprit.
Au chalet, je dors mieux, je sieste en toute impunité, je m’évade en lisant et j’écris beaucoup. Le calme m’inspire et m’apaise.
Je vais jouer dehors aussi, marcher, courir et pédaler en été. Je respire à pleins poumons, je marche la tête vide et le cœur joyeux, chargé, repus.
Je prends le temps de cuisiner comme jamais. Le temps, ici, n’a plus la même valeur, ne me file plus entre les doigts, mais n’est pas non plus en suspens. Le temps au chalet reprend enfin son rythme normal, son sens. C’est aussi le cas pour ma vie et la vie tout autour, comme si elle reprenait ses droits et ses aises au détour d’une marche en forêt. Comme si « tout était comme avant », du moins ce qui était beau et doux et apaisant. Ce qui nous unit avec la nature et les choses vraies.
Puis, je referme les volets, laissant tout en ordre à l’intérieur du chalet comme dans ma tête, en moi.
En glissant la clé dans la serrure pour la dernière fois, je remercie cet endroit qui m’a accueilli comme on accueille un vieil ami : avec chaleur, ouverture, simplicité et douceur. Et je me promets de retourner dans un chalet chaque fois que j’aurai besoin d’un petit regain de douceur et d’énergie, des bienfaits d’un nouveau et momentané quotidien en pleine nature et d’un plongeon dans les profondeurs de ce qui me rend profondément heureuse.
Mon petit baluchon sur l’épaule, je reprends le chemin de la ville que j’aime d’un amour aussi fort, mais différent. Mon cœur non pas séparé en deux, mais prêt à s’ouvrir, deux fois plutôt qu’une.